J'ai longtemps désiré un homme dominant, voici pourquoi.
Charlotte Lamb. Auteure. Je suis certaine que personne ne reconnaîtra ce nom, mais il est encré en moi depuis plus de quinze ans. C’est l’auteure dont j’ai lu le plus de romans dans ma vie. Quand j’avais 14 ans, j’étais déjà une très grande lectrice. Une trop grande lectrice même, puisque je m’isolais complètement pour entrer dans l’imaginaire de la littérature, y plongeait comme s’il n’y avait pas de lendemain et l’intensité des émotions que j’y ressentais n’a aucun égal avec les émotions que je ressens aujourd’hui adulte. La mère de mon père était au courant de cette information, je ne sais pas trop pourquoi puisque nous n’étions pas nécessairement proches, mais toujours est-il que cette information qu’elle possédait à changer le cours de ma vie complètement.
Je me souviens comme d’un vieux souvenir poussiéreux du jour où elle m’a invité à la suivre dans le grenier de sa maison dans le village de Rigaud. Déjà, un grenier, c’est magique. Les rares fois où j’y avais accédé lors de mon enfance, j’avais trouvé l’endroit magique, remplie de boîtes rapiécées, de coffres et d’objets inusités. Imaginez-vous un grenier mystérieux de film, c’était celui de mes grands-parents Lauzon. Ma grand-mère, cette fois-là, en a sorti une vieille boîte de carton rectangulaire, que j’ai conservée longtemps. Dans cette boîte se trouvait une collection de vieux romans Harlequin, les originaux, les blancs, (rendus beiges par le temps), les classiques datant des années 60 et 70. Elle me l’a donné. Je suis reparti avec ce trésor mystérieux comprenant une vingtaine de romans d’amour à l’eau de rose et ma vie a changé. Ma perception de l’amour, des hommes, du consentement, du féminisme, des femmes... explosée. J’ai pris des années à déconstruire ce que ces romans avaient insinués dans mon esprit.
Je suis devenue obsédée par les romans Harlequin. J’en ai débuté une collection. Mon but était d’en posséder le plus possible. Je courais les librairies à la recherche de la vieille boîte de roman poussiéreux que les libraires vendaient 25 sous chaque. Certains me les mettaient même de côté, puisque définitivement personne d’autre que moi n’achetait cela. Ma collection, au bout de quelques années, a dû atteindre les 500 livres, si ce n’est pas plus. Je n’avais pas seulement que les blancs classiques, mais les bleus azur, les rouges passions, les modernes, les historiques, etc. Je pouvais en lire 3 de suite, ça été mon record. J’avais calculé que ça me prenait environ 2h30 pour en lire un au complet. Donc les nuits blanches s'enchaînent. Je les cachais dans mes manuels d’école pour lire en cours. J’en avais toujours un sur moi, dans mes sacoches ou mes sacs. Les ventes de garage étaient mon paradis pour en trouver. J’en lisais même en ligne sur le site Internet de la maison d’édition. Ça dû durer 3 ans au moins. Je n’ai presque rien lu d’autre.
Toujours la même trame narrative, à quelques détails près. Une femme, un homme. Leur rencontre, leurs désirs, leurs soumissions face à l’amour. La secrétaire et son patron. Les vieux ennemis de jeunesse qui se retrouvent. La maîtresse déchue qui revoit son amant. La carriériste qui se bat pour garder son indépendance, mais ne réussit jamais. La vierge qui résiste si peu aux tentations. L’homme blessé par le passé qui retrouve le bonheur. Les genres stéréotypés à l’extrême. L’absence de consentement. Le pouvoir, l’argent, le luxe. L’homme sauveur. L’homme tout-puissant. L’homme roi. L’homme mystérieux. La soumission de la femme. Le viol.
Charlotte Lamb...
She was a true revolutionary in the field of romance writing. One of the first writers to explore the boundaries of sexual desire, her novels often reflected the forefront of the "sexual revolution" of the 1970s. Her books touched on then-taboo subjects such as child abuse and rape, and she created sexually confident -even dominant- heroines. She was also one of the first to create a modern romantic heroine: independent, imperfect, and perfectly capable of initiating a sexual or romantic relationship.**
Je me dis que clairement, en lisant cette petite citation sur sa page Wikipédia, je comprends pourquoi je l’aimais plus que les autres, en sachant qui je suis aujourd’hui. À ce jour, ma collection est plus petite, mais encore présente. Je me suis débarrassée de beaucoup de romans au fil des déménagements, mais j’ai toujours gardé mes blancs/beiges classiques. Ils sont exposés chez moi, même si jamais je ne pourrai en rouvrir un et le lire. Si je les affiche ainsi dans ma bibliothèque, c’est pour me rappeler la féministe que je suis, influencée en grande partie par l’impossibilité pour moi de voir ma vie et celle des femmes qui m’entourent, devenir un roman Harlequin.
L’exploration de mon féminisme a été ralentie et accélérée par mes lectures romanesques. Ralentie pendant toutes les années où j’ai cru que l’amour, c’était ça. Accélérée dès que j’ai été assez mature pour déconstruire le tout, ce que j’ai fait. Mais ça n’a pas été facile. Un seul de ces romans a suffi pour me faire croire que l’homme est dominant et des années pour comprendre que la femme se doit de consentir à tout. Un combat de tous les jours encore.
* Ce texte est en grande partie une réaction au film 365 jours, affiché sur la plateforme Netflix. J’ai ressenti beaucoup de violence en lisant le synopsis et en voyant un simple extrait, parce que c’est exactement la trame narrative d’un Harlequin moderne. Ça m’a catapulté dans toutes les scènes de viol lues dans ces romans à l’adolescence, scènes que j’essaye encore d'oublier parce qu’à ce moment je les lisais comme des moments romantiques, alors que c’était de la violence sexuelle. Je dénonce haut et fort le fait que des films comme celui-là existe. C’est dangereux. Point final.
** https://en.wikipedia.org/wiki/Charlotte_Lamb
